ENQUÊTE. Les trafiquants d’animaux sauvages de plus en plus pris en chasse par les autorités
Félins, primates, reptiles, perroquets, tous sont concernés par le trafic d'animaux sauvages qui génère plus de 4,9 milliards d’euros par an dans le monde. Une situation prise au sérieux par les autorités françaises. Selon nos informations, un groupe de travail gouvernemental a validé la construction de refuges à proximité de Roissy.
Quel est le point commun entre Justin Bieber, le youtubeur Joyca ou encore la star de téléréalité Alix Desmoineaux ? Ils sont tous propriétaires de savannahs. Ce félin issu du croisement entre un chat et un serval connaît une toute nouvelle popularité qui alimente le trafic d’animaux sauvages.
Du savannah au serval, il n'y a qu'une patte. Ce dernier est la nouvelle star des réseaux sociaux. Promené en laisse et élevé dans des espaces domestiques, le serval n’a pourtant rien d’un animal de compagnie conventionnel car sa détention est illégale en France. Souvent issus de reproductions effectuées en captivité, ces félins traversent un ou plusieurs pays européens comme la Belgique, les Pays-Bas ou encore la République tchèque avant d'arriver en France. Un business international fructueux qui peut atteindre jusqu’à plusieurs milliers d'euros, le prix de vente d’un animal étant compris entre 3500 et 9000 euros. Seulement, si à leur naissance, les servals peuvent être comparés à de jolis chatons, une fois adulte l’animal au caractère très territorial peut atteindre plus d'un mètre vingt en longueur, faire une vingtaine de kilos et courir à plus de 80km/h.
Face à des abandons de particuliers dépassés ou des saisies, les refuges ont vu leur nombre de pensionnaires monter en flèche. « Les gens recherchent toujours ce qui ressemble le plus à l’animal sauvage », selon Camille Schmitz, fondatrice du parc animalier L’Arche du Magnoac, qui a accueilli récemment trois de ces félins, au pelage tacheté et aux grandes oreilles. Cette hausse du trafic s’explique en partie par la popularité des savannahs, un croisement entre un serval et un chat. En effet, à partir de la cinquième génération, le savannah est considéré comme un animal domestique et sa vente devient légale. Pour accroître le trafic, les trafiquants n’hésitent donc pas à jouer de cette hybridation pour créer la confusion.
« Ce qui nuit énormément à ces animaux ce sont les réseaux sociaux »
« La motivation au trafic de ces animaux est toujours lucrative ou égocentrique », déplore Sophie Fernandes-Petitot, responsable communication au Zoo-refuge La Tanière, situé à Nogent-le-Phaye, près de Chartres. « Ce qui nuit énormément à ces animaux, ce sont les réseaux sociaux. Les trafiquants mettent en scène les animaux pour les vendre. Certains vont même jusqu’à faire payer les gens pour prendre des photos avec eux ». En effet, les médias sociaux jouent un rôle majeur dans le développement de ce marché mondial en ligne, où les trafiquants peuvent facilement atteindre, de façon anonyme, de nouveaux clients.
Exemple récent, celui de La Reina de la Jungle, arrêtée fin novembre 2022. A 22 ans, la jeune toulousaine était à la tête d’un trafic d’animaux sauvages qu’elle vendait via son compte instagram. Servals, ouistitis, perroquets, en moins d’un an, elle a réussi à vendre plusieurs dizaines d’animaux, dont certaines espèces protégées sont interdites à la vente en France. Ayant remarqué le goût des influenceurs pour ces bêtes sauvages, la jeune femme s’est rapprochée d'éleveurs frauduleux basés en Espagne. La Reina de la jungle a été mise en examen pour plusieurs chefs d'accusations, dont trafic d'animaux sauvages en bande organisée. Elle encourt une peine de sept ans d'emprisonnement.
« Je ne cours pas derrière les trafiquants, je récupère les animaux pour leur bien-être »
Le trafic d’animaux sauvages est aussi alimenté par la banalisation des NAC (nouveaux animaux de compagnie) en France. Les NAC sont des espèces animales, domestiques ou non, détenues par une personne pour son agrément. Si certains comme les rongeurs, les poissons ou les oiseaux se sont glissés de façon assez conventionnelle dans nos foyers, d’autres comme les batraciens ou les reptiles peuvent donner davantage de frissons. C’est pourquoi l’adoption d’un NAC peut être soumise à certaines obligations et elle engage systématiquement le propriétaire qui doit assurer le bien-être de l’animal. Seulement, de nombreuses personnes pourraient être tentées d'acheter des NAC, après en avoir vu sur les profils de leurs influenceurs préférés.
« Aujourd'hui, on fonce dans tous les sens, on a plus le temps de regarder les petites fourmis » déplore Philippe Gillet, herpétologue - comprendre : un spécialiste des reptiles. Pour permettre aux gens de mieux connaître et apprécier les animaux, il a créé l’association Inf’Faune - information sur la faune, basée à Couëron près de Nantes. C’est ainsi qu’il vit en compagnie de 400 animaux. Dans l'Arche de Philippe, on trouve alligators, serpents à sonnettes, tortues, mygales et même scorpions. Beaucoup de ses colocataires sont rescapés d’euthanasie, de maltraitance ou de saisies par l'administration française. « Certaines personnes m'appellent aussi car ils n’ont plus les moyens ou l’envie de s’occuper de leurs animaux, donc je les récupère ». Pour pouvoir détenir autant d’animaux, Philippe a dû passer des certificats de capacités, d’élevage, de présentation au public et de mobilité. S’il est conscient des trafics et participe avec son association à leur diminution, l’herpétologue « ne court pas derrière les trafiquants », son objectif est le bien-être animal avant tout.
En France, le trafic d’espèces protégées est passible de trois ans d’emprisonnement et de 150 000 euros d’amende. En ce qui concerne le trafic en bande organisée, il est puni de sept ans de prison et de 150 000 à 750 000 euros d'amende depuis la promulgation de la loi Ddadue en 2013. Des condamnations jugées insuffisantes par Maud Lelièvre, présidente du comité français de l'UICN (Union internationale pour la conservation de la nature) : « Pour la justice ce n’est pas si grave. Il faudrait rehausser les condamnations à hauteur des trafics de drogue ».
Une traque de l’avion jusqu’aux jardins ...
Sur le territoire français, les autorités tentent d’agir sur tous les terrains malgré la complexité du démantèlement des réseaux de trafiquants. La majorité des saisies d’animaux détenus illégalement se font grâce à des dénonciations. « Si votre voisin voit que vous avez un lion dans votre jardin, il peut le signaler l’OFB (Office Français de la Biodiversité) qui viendra faire une intervention », explique Camille Shmitz, fondatrice du refuge l’Arche du Magnoac.
La douane est également un acteur clé de la lutte contre ce trafic lorsqu’il s’agit d’un animal repéré au passage des frontières. Une grande partie des animaux sauvages issus du trafic transite par l’aéroport Roissy Charles de Gaulle à Paris. C’est alors le service des douanes français qui intervient sur le terrain avant de se référer à l’Office Français de la Biodiversité. Sophie Cousin, de la direction générale des douanes de Roissy, détaille : « les contentieux sont principalement réalisés sur des flux d'importation à destination de la France. En 2022, ils concernent diverses espèces protégées, comme les primates, les crocodiles, les serpents ou encore le caviar et l'ivoire ».
Lorsque le contrôle des animaux aux frontières révèle une non-conformité, plusieurs options sont envisagées en fonction de la possibilité de régularisation de l’animal. Si la non-conformité est régularisable dans les jours qui suivent la saisie, les animaux sont placés provisoirement en consigne au sein de la station animalière de l’aéroport. Si la non-conformité n'est pas régularisable, l’animal peut être définitivement placé en refuge ou en sanctuaire. Néanmoins, si l’animal est jugé trop dangereux, il est réexpédié vers son pays d’origine. Mais en cas de refus du pays tiers, l’animal peut être euthanasié par un vétérinaire praticien.
L’aéroport Roissy Charles de Gaulle, véritable plaque tournante du trafic
Le constat est sans appel pour les services douaniers de l'aéroport Charles de Gaulle. Pour le seul terminal T2 de Roissy, 17 tonnes d’espèces animales ont été saisies sur l'année 2021. Soit à peine 10% du commerce illégal sur le territoire français, selon les estimations de l’UICN. Maud Lelièvre précise que « les produits illégaux issus d'espèces sauvages, c’est une tonne importée chaque semaine à l’aéroport Charles de Gaulle. On est sur un vaste marché en direction de la France, qui sert de plateforme à l’Europe. Ce n’est pas du tout un problème marginal ».
D'ailleurs, le nombre d’animaux vivants saisis par la douane a bondi de 83 % entre 2020 et 2021. Il faut néanmoins rester prudents sur ces chiffres en raison des conséquences de la crise sanitaire sur le trafic aérien au cours de l’année 2020. Un avis partagé par Jean-Claude Vignoli, auteur, journaliste, et ancien membre de l’ONG EAGLE : « Le trafic d'espèces d’animaux sauvages est toujours compliqué à quantifier parce que cela change d'un auteur à l'autre, d'une évaluation à l'autre et on parle de choses qui sont cachées ».
Si la station animalière du poste frontalier (SIVEP) de l'aéroport accueille les animaux vivants importés en provenance de pays tiers, les infrastructures pour assurer l’accueil des animaux manquent. Les refuges existants tels que L’Arche du Magnoac ou encore le zoo-refuge La Tanière dénoncent une invisibilisation des conséquences de ce trafic.
« Quand on prélève des individus qui ont vécu dans leur environnement naturel sans l’influence de l’homme, c’est la loterie de les déplacer ailleurs »
Une inquiétante disparition de la biodiversité
Le trafic d’animaux sauvages a des conséquences irréversibles pour la biodiversité. Jean-Claude Vignoli, qui a travaillé plusieurs années en Afrique, a « assisté à la disparition d’une quantité invraisemblable de mammifères. Au début du siècle passé, il y avait 5 à 6 fois plus de mammifères qu’aujourd’hui ». Le rapport Planète Vivante publié en 2018 par le WWF précise que 60 % des populations d’animaux sauvages ont disparu en 40 ans, en partie à cause du trafic. Pourtant, « nous avons besoin des animaux sauvages pour combattre la perte du vivant et alimenter nos imaginaires », renchérit Jean-Claude Vignoli. Il existe même un carnet noir des espèces menacées d'extinction, rédigé par la CITES (Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction). Dans cette annexe 1 figurent notamment le rhinocéros et l’éléphant, pourchassés pour leurs cornes.
Mais le trafic d’espèces sauvages bouleverse aussi la biodiversité française, selon Philippe Gillet : « Pas besoin d’avoir des serpents à sonnettes, des cobras, des crocodiles et des anacondas en France. Ces espèces sont introduites alors qu’elles n’ont rien à faire là. Il ne faut pas qu’elles détruisent notre biodiversité ». Il signale le cas de tortues alligators, retrouvées dans le canal du Midi, proche de Toulouse, et alerte sur les particuliers qui relâchent des animaux sauvages dans la nature.
« Nos animaux sont les légumes moches du supermarché »
Pour les animaux eux-mêmes, le trafic a des conséquences désastreuses. Retour au refuge de l’Arche du Magnoac, où Camille Schmitz explique : « Nous sommes un refuge qui a pour vocation le placement définitif. Les animaux arrivés petits, que nous devons biberonner et soigner, fréquentent l’homme trop souvent pour être relâchés, il y a une trop grande proximité ». Les refuges jouent un rôle essentiel dans le recueil des animaux, qui ne pourront jamais réintégrer la vie sauvage. Au zoo-refuge La Tanière aussi, le but est de « sauver, abriter, prendre soin et donner un lieu de vie temporaire ou non aux animaux » selon Sophie Fernandes-Petitot.
Les animaux arrivent souvent blessés, malades, et doivent être soignés : « Ils sont parfois dans un sale état, les oiseaux n’ont plus de plumes, les primates sont en dénutrition, les félins perdent leurs poils. Nos animaux sont comme les légumes moches du supermarché ». Sophie Cousin, de la direction générale des douanes de Roissy nous confie que « la douane a à coeur de trouver une solution d'accueil pour les animaux, mais il n'existe pas de partenariat particulier ». Pour Camille Schmitz, le trafic a des conséquences toujours désastreuses pour les animaux : « Quand on prélève des individus qui ont vécu dans leur environnement naturel sans l’influence de l’homme, c’est la loterie de les déplacer ailleurs ».
Des risques sanitaires indéniables
Au-delà des menaces sur la biodiversité, un rapport de l’ONU, publié en 2020, explique combien ce trafic est un risque sanitaire, facteur de transmission de maladies, comme lors de la pandémie de Covid-19, en 2020. Le pangolin, principal suspect du coronavirus, est le mammifère le plus trafiqué au monde. Selon le rapport, les saisies de ce petit animal, très recherché en Chine pour ses vertus médicinales, ont été multipliées par dix entre 2014 et 2018. Jean-Claude Vignoli donne une raison à cette explosion du trafic : « il est très facile à chasser : quand on s’approche de lui, il prend peur, et se recroqueville. On le cueille comme un champignon. Ça ne demande aucune compétence, si ce n’est de savoir où les trouver ».
Autre risque sanitaire, la viande de brousse. Transportée dans des valises, elle peut causer des intoxications et des décès. Les viandes d’antilope, de singe ou encore de crocodile sont les plus fréquentes, d’après l’aéroport de Roissy. Selon Jean-Claude Vignoli, cette tradition de la viande de brousse prospère en Europe : « Les diasporas africaines sont habituées à manger certains animaux de brousse, et créent des réseaux pour continuer à s’approvisionner, en Suisse, en France ou en Norvège ». Ces risques sanitaires inquiètent les autorités, qui sont alors plus volontaires pour agir.
De nouveaux refuges vont voir le jour à Roissy
La lutte contre le trafic d’animaux sauvages s’articule à toutes les échelles. Jean-Claude Vignoli insiste, qu’à l’échelle internationale, « le plus important c’est la corruption, qui est vraiment l'huile de coude qui garantit que tout le système criminel fonctionne ». L’UICN a rédigé un rapport et des recommandations sur les actions à mettre en place en France, qui « a une forte responsabilité pour lutter contre cette criminalité environnementale ». Les services douaniers doivent augmenter leurs effectifs, ainsi que les moyens dont ils disposent pour intervenir dans les aéroports. À Roissy, seuls 20 agents sont mobilisés pour 24 000 passagers par jour. La limite d’un seul bagage de 23kg permettrait aussi de réduire les possibilités de trafic.
Autre levier d’action, le financement et l’accompagnement des structures d’accueil des animaux confisqués. Maud Lelièvre préconise l’ouverture de centres d’accueil, notamment à proximité des aéroports ainsi qu’un réel soutien financier aux structures existantes. Par exemple, au refuge de La Tanière, les visites et le statut de zoo permettent de recevoir certaines subventions. « Les entrées du parc financent certains soins aux animaux, mais nous ne faisons pas de bénéfices » raconte Sophie Fernandes-Petitot.
Les services publics sont sensibilisés à la question et témoignent d’une certaine volonté de faire évoluer les choses. En février dernier, la secrétaire d’État à l’écologie, Bérangère Couillard, a annoncé la création d’un groupe de travail pour accroître la lutte contre le commerce illégal de viande et d’animaux sauvages à destination de la France. Selon Sophie Cousin, de la direction générale des douanes de Roissy, ce groupe rassemble des représentants de plusieurs ministères (économie et environnement), ainsi que des services douaniers, des opérateurs de transports et des associations (UIAC, WWF, IFAW, Association française des parcs zoologiques). Une première réunion s’est déroulée jeudi 20 avril dernier à Bercy. Selon nos informations, plusieurs mesures, dont la construction de nouveaux refuges aux alentours de Roissy, seront adoptées dans les mois qui viennent.